Au cours des derniers mois, un certain nombre de grandes banques centrales, telles que la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre, ont procédé à un resserrement agressif de leur politique monétaire. Bien que cela ait permis de maîtriser quelque peu l’inflation et d’éviter de justesse une récession mondiale jusqu’à présent, les perspectives à court terme restent floues en raison de l’évolution rapide de la situation intérieure sur les principaux marchés et des événements géopolitiques.
L’incertitude de la demande et les pressions sur l’offre restent deux des principaux thèmes économiques de cette année, ce qui pourrait entraîner une reprise de l’inflation et retarder l’assouplissement de la politique monétaire. Le ralentissement de la croissance économique et le coût plus élevé de la dette sont considérés comme susceptibles d’affecter les pays en développement dont les pays africains, les petites et moyennes entreprises étant les plus durement touchées.
Dans leur analyse d’un scénario de référence, les Services économiques d’EDC (Exportation et Développement Canada) continuent de soutenir que le risque d’une crise systémique de la dette souveraine demeure faible. Néanmoins, les ingrédients d’un cocktail dangereux sont en train de se réunir ; combinez une dette publique supérieure aux niveaux pré-pandémiques, une croissance mondiale ralentie et des dépenses publiques en hausse, et vous obtiendrez une plus grande probabilité de défauts souverains. Une étude récente du Fonds monétaire international estime qu’au cours des sept à dix prochaines années, la vulnérabilité de la dette parmi les pays à faible revenu pourrait s’approcher des niveaux de crise observés la dernière fois au milieu des années 1990. Une profonde récession mondiale, un nouveau choc des cours des produits de base ou une crise financière aux États-Unis accéléreraient le processus. Une vague de défauts souverains, plus particulièrement dans les marchés émergents de moyenne ou grande taille comme l’Égypte ou le Nigeria, aurait des répercussions sur les entreprises.
La Banque africaine de développement (BAD) estime que la dette extérieure totale de l’Afrique, qui s’établissait à 1 120 milliards de dollars américains en 2022, a atteint 1 152 milliards de dollars à la fin 2023 soit environ une hausse de 3 %. Avec des taux d’intérêt mondiaux à leur plus haut niveau depuis 40 ans et l’arrivée à maturité, cette année, de nombreux titres de dette obligataire émis par les pays africains, les défis ne manquent pas en 2024. L’Afrique paiera 163 milliards de dollars au titre du service de la dette rien que pour cette année 2024, ce qui constitue une forte augmentation par rapport aux 61 milliards de dollars de 2010. Le poids grandissant du service de la dette pourrait obérer les objectifs de développement durable sur le continent, notamment dans la santé, l’éducation et les infrastructures.
Bien que la dette publique médiane ait été ramenée à 65 % du PIB par rapport à 68 % en 2021 – en raison des effets positifs des mesures d’allègement de la dette, notamment l’Initiative de suspension du service de la dette -, le niveau d’endettement des pays africains est toujours plus élevé qu’avant la pandémie de Covid-19, qui s’élevait alors à 61 %. Vingt-cinq pays d’Afrique (notamment la Zambie, le Cap Vert, le Mozambique, la Tunisie, l’Angola, le Kenya, le Ghana ou encore le Congo) sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement.
L’une des difficultés de la résolution de la dette réside aussi dans son extrême lenteur. Des quatre pays africains – Tchad, Éthiopie, Zambie et Ghana – à solliciter un traitement de la dette au titre du Cadre commun du G20, seule la Zambie a achevé en 2023 le processus qui lui permet de bénéficier de cette facilité. « Il est urgent de réformer l’architecture mondiale du système financier et de la dette afin de réduire les coûts, les délais et les complications juridiques de la restructuration de la dette des pays africains », insistait M. Adesina aux Assemblées annuelles 2023 de la Banque à Charm el Cheikh, en Égypte. Et pour éviter des coûts élevés et limiter la probabilité d’une nouvelle crise de l’endettement, l’Afrique devrait faire pression en faveur d’une transparence accrue et d’une coordination mondiale entre les créanciers, insistait M. Adesina.
L’autre problème de la dette réside dans la « prime à l’Afrique » que les pays du continent doivent payer lorsqu’ils accèdent aux marchés des capitaux, malgré des données montrant que les taux de défaut en l’Afrique sont inférieurs à ceux d’autres régions du monde. Une analyse de Moody’s sur les taux de défaillance des infrastructures mondiales montre par exemple, que le continent africain se classe mieux, avec 5,5 %, que l’Asie, avec 8,5 %, et l’Amérique latine, avec 13 %. Or, la perception du risque en Afrique, reflétées par les institutions de notation mondiales, entraîne une hausse très souvent injustifiée des coûts d’emprunt pour les pays africains.
Les délais courts de remboursement de la dette restent aussi une épine. L’ancien président sénégalais, Macky Sall, lorsqu’il était président en exercice de l’Union africaine, déplorait, lors du 2e Sommet sur le financement des infrastructures en Afrique, les délais courts de remboursement de la dette. « Pour des financements aussi lourds et des infrastructures de longue durée, nos pays sont souvent tenus de rembourser leurs dettes dans des délais souvent courts, à quelques exceptions près », soulignait-il en février 2023. Cette remarque pour les infrastructures est aussi valable pour des prêts pour l’éducation. Des prêts destinés à la construction d’écoles doivent être remboursés avant même que les sortants de ces écoles ne deviennent productifs.
« Le développement à long terme ne peut être basé sur des prêts à court terme. Les prêts accordés à l’Afrique devraient être d’une durée d’au moins 25 ans, voire plus. Les emprunts à court terme sont dangereux pour le développement à long terme », soutient vigoureusement, l’économiste, universitaire et analyste des politiques publiques américain, Jeffrey Sachs.
« L’Afrique est la seule région du monde qui ne dispose pas de réserves de liquidités pour se protéger contre les chocs. », affirme le président de la BAD M. Akinwumi A. Adesina
Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense et de Sécurité Globales du Sahel