Les autorités nigériennes et la société canadienne Zimar ont signé, le jeudi 24 octobre 2024, un mémorandum d’entente pour la construction d’une nouvelle raffinerie de pétrole et d’un complexe pétrolier dans la région de Dosso (sud-ouest) frontalière du Bénin.
« Le gouvernement du Niger et le groupe pétrolier Zimar ont signé, ce jeudi 24 octobre 2024, un mémorandum d’entente portant sur le projet de conception, financement, construction, mise en service, exploitation, gestion, maintenance et le transfert d’une raffinerie modulaire d’une capacité de 100 000 barils/jour et d’un complexe pétrochimique à Dosso (sud-ouest du Niger) », a rapporté l’Agence nigérienne de presse (ANP).
Après des investigations sur internet et consultations d’experts du secteur, beaucoup de nigériens considèrent la société canadienne Zimar comme incompétente car ils n’ont trouvé aucun exemple de raffinerie réalisée par cette société dans le monde. Le débat entre pro-Zimar et anti-Zimar fait rage actuellement au Niger plus particulièrement sur les réseaux sociaux. Ce débat est salutaire car beaucoup de nigériens s’intéressent aux intérêts du pays et redoutent une nouvelle escroquerie économique après tant de scandales surtout dans le secteur minier.
Par contre, en tant que capitaine d’industrie et ingénieur de formation je suis choqué par le manque de pensée stratégique de mes compatriotes. Je rappelle que le Niger a déjà une première raffinerie créée en 2011 avec la société chinoise CNPC. Depuis lors, quelle stratégie le Niger a-t-elle mis en place pour siphonner la technologie chinoise présente sur son territoire ? Le Niger ambitionne-t-il un jour d’avoir ses propres entreprises (publiques ou privées) capables de raffiner son pétrole et de le commercialiser ?
L’exemple de l’uranium exploité depuis plus de 50 ans par les multinationales françaises me rend pessimiste. Pendant tout ce temps, le Niger n’a même pas réussi à développer le nucléaire civil afin d’électrifier son immense territoire et industrialiser son économie. Selon les données de la Cédéao, le taux d’électrification du pays est de 18 % soit l’un des plus faibles au monde.
Au lieu de se chamailler sur le choix des multinationales étrangères qui devraient exploiter notre pétrole, le comble pour des souverainistes, nous devrions collectivement songer à créer nos propres entreprises capables d’exploiter nos ressources. Pour y arriver, il faut nécessairement développer un système national d’intelligence économique afin de former des femmes et des hommes capables de prendre le contrôle de nos économies.
J’invite donc mes compatriotes de tout bord et plus particulièrement les autorités nationales à un exercice de souveraineté économique ou d’autonomie stratégique en essayant de répondre aux questions suivantes :
– Combien de techniciens, d’ingénieurs et de chercheurs de classe mondiale le Niger compte-t-il former dans 2 ans, 5 ans, 7 ans voire plus pour mieux exploiter son pétrole et son gaz ?
– Combien d’articles scientifiques en Science et Ingénierie (S&I) le Niger compte-t-il publier à l’horizon 2040 ou 2050 dans le domaine du pétrole et du gaz ?
– Combien de brevets le Niger compte-t-il déposer et/ou acheter, pour ne pas perdre son temps à vouloir inventer la roue dans les années à venir ?
– Combien d’Universités, d’Ecoles d’Ingénieurs et de Commerce liés au pétrole et au gaz le Niger compte hisser dans le top 10 mondial dans 5 ou 10 ans ?
– Comment le Niger compte-t-il mobiliser ses compétences nationales et celles de sa diaspora pour prendre le contrôle total de son économie ?
– Combien d’Académies de Sciences et Technologies le Niger compte-t-il créer dans les années à venir afin de rattraper son retard dans les domaines scientifiques stratégiques comme l’exploration, l’exploitation, le raffinage, le transport et la commercialisation du pétrole ?
Voici quelques questions auxquelles je souhaite avoir des réponses concrètes de la part des autorités nigériennes et de la société civile. Le retard de l’Afrique sur le plan scientifique et technologique est l’une des causes structurelles qui empêche les africains de prendre le contrôle total de leurs économies. Selon les données de la Banque Mondiale, l’Afrique a 35 chercheurs pour un million d’habitants contre 2500 en Europe et plus de 4000 aux Etats-Unis. Aucun pays africain ne parvient à consacrer 1 % de son PIB à la recherche scientifique et technologique.
Par ailleurs, il faut savoir que la colonisation est avant tout une guerre économique qui consiste à agresser militairement l’Autre (Noirs, Arabes, Indiens, Chinois, Amérindiens, Aborigènes, Kanaks…) et de le maintenir sous domination afin de le dépouiller de ses ressources : humaines, naturelles, minières, culturelles, cultuelles… ! Pour atteindre ses objectifs, le colonialisme mobilise des valeurs religieuse et morale comme stratégie de camouflage : christianisation, œuvre civilisatrice, démocratie, droit de l’homme, droit d’ingérence, aide humanitaire… !
Par conséquent, la meilleure manière de vaincre le colonialisme est de prendre le contrôle total et entier de nos économies en devenant des guerriers économiques. Pour cela les nigériens doivent se retrousser les manches, fuir les fadas, s’armer de sciences jusqu’aux dents et devenir des capitaines d’industries afin de produire des biens et des services indispensables à leur épanouissement quotidien.
Aujourd’hui, les meilleurs guerriers économiques sont les chinois, les sud-coréens, les taïwanais, les vietnamiens, les singapouriens, les indonésiens, les thaïlandais… qui se sont tous inspirés des japonais et de leur fameux agence gouvernementale le MITI (Ministry of International Trade and Industry, « ministère du Commerce extérieur et de l’Industrie ») avec son service de renseignement économique le JETRO (Japan External Trade Organization). Ce système, essentiellement piloté par l’administration japonaise, fait du recueil de l’information et de sa circulation dans l’ensemble du tissu économique du pays la principale force de son économie. Pour les japonais, l’information est le nerf de la guerre économique.
Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Fondateur et Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense et de Sécurité Globales du Sahel (IDSGS)
1 Comments
Kiki
Des erreurs que l’actuel gouvernement nigérien doit éviter.
Il est vraiment grand temps de penser une technologie africaine tout en apprenant des autres