Alliance des Etats du Sahel (AES) : Analyse économique du retrait de la CEDEAO

Dans leur étude intitulé « L’économie post-CEDEAO : Défis et opportunités pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger »[1], les chercheurs Etienne Fakaba SISSOKO, (Docteur en Macroéconomie Internationale), Laya Amadou GUINDO, (Docteur en Macroéconomie Monétaire et Institutionnelle) et Alassane Lamine TRAORE (Docteur en Sciences Économiques) affirment qu’avant leur retrait de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), le Mali, le Burkina Faso et le Niger avaient des défis économiques similaires, caractérisés par une forte dépendance à l’agriculture et à l’aide extérieure, des infrastructures sous-développées, et une vulnérabilité aux chocs externes tels que les fluctuations des prix des matières premières et les aléas climatiques. Par exemple, la dépendance de ces économies à l’agriculture est un facteur clé dans leur vulnérabilité économique.

Le dynamisme économique de ces trois pays était loin d’être homogène, mais chaque pays bénéficiait des avantages de l’adhésion à la CEDEAO, qui offrait un cadre pour la stabilité macroéconomique, des opportunités commerciales élargies et un accès facilité aux marchés régionaux. La zone CEDEAO représentait pour ces États un espace sans visa qui favorisait la libre circulation des capitaux, des biens et des personnes, un aspect crucial pour des pays sans littoral et dépendants des corridors commerciaux à travers les États côtiers pour leurs importations et exportations. La mobilité sans entrave des capitaux, des biens et des personnes au sein de la CEDEAO a été un facteur déterminant pour le développement économique des pays enclavés du Sahel central.

Le rôle du Mali, du Burkina Faso et du Niger au sein de la CEDEAO, bien que modeste par rapport aux économies plus vastes comme celle du Nigeria, était néanmoins significatif. Le Mali, par exemple, avec son important secteur agricole, était un contributeur important en termes de produits agricoles dans la région. Le Burkina Faso et le Niger, bien que plus petits en termes de PIB, jouaient des rôles cruciaux dans les échanges de biens et de ressources minières tels que les textiles, l’élevage, l’or et l’uranium. Le rôle de ces trois pays dans la CEDEAO, bien que souvent sous-estimé, a été crucial dans certains secteurs clés comme l’agriculture et les ressources naturelles.

Les avantages économiques tirés de l’appartenance à la CEDEAO pour ces trois pays étaient concrets et inestimables. L’accès au Tarif Extérieur Commun (TEC), qui vise à harmoniser les politiques douanières au sein de l’espace CEDEAO, offrait un cadre prévisible pour le commerce extérieur. Le TEC a joué un rôle essentiel dans la facilitation du commerce extérieur pour les pays de l’AES, leur permettant de diversifier leurs exportations. Ce qui a contribué à la prospérité économique de ces pays.

Néanmoins, la relation entre les pays de l’AES et la CEDEAO n’était pas exempte de tensions, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des politiques économiques communes et la gestion des crises politique et sécuritaire. La décision de retrait doit donc être vue comme un reflet de ces tensions et des calculs politiques internes, ainsi que des évaluations stratégiques visant à préserver la souveraineté nationale face aux dynamiques régionales changeantes. Le retrait de la CEDEAO était en partie une réponse aux tensions internes et aux défis de souveraineté auxquels ces pays étaient confrontés. Il est important de garder à l’esprit qu’une organisation d’intégration économique régionale ou continentale a besoin de parapluie sécuritaire pour exister. La CEDEAO ne possède pas d’armées compétentes capables d’assurer la sécurité de ses frontières extérieures. Le commerce sans sécurité est une illusion !

La transition vers une nouvelle organisation économique et politique post-CEDEAO pour les États du Sahel central suscitera sans doute des questions sur la réorganisation de leurs économies dans un contexte régional et global tendu voire chaotique.

Les défis économiques du retrait de la CEDEAO

Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO présente des défis économiques considérables pouvant redéfinir le paysage économique de l’Afrique de l’Ouest. Ce retrait a immédiatement perturbé les activités économiques régionales comme le commerce et l’investissement. Pour les agents économiques, le cadre de libre-échange de la CEDEAO était vital pour leurs échanges régionaux et sa perte entraîne des complications considérables. La disparition des avantages liés au Tarif Extérieur Commun impacte fortement les échanges commerciaux. L’incertitude et les risques augmentent, dissuadant les investissements et perturbant les chaînes d’approvisionnement des pays de l’AES.

Sur le plan monétaire et fiscal, chaque pays doit désormais faire face à un environnement économique mondial incertain de manière autonome. L’absence d’harmonisation monétaire et fiscale va obliger le Mali, le Burkina Faso et le Niger à repenser leurs politiques économiques. Ces ajustements auront un impact significatif sur les finances publiques. Les budgets nationaux vont subir une pression supplémentaire, exigeant des réponses stratégiques et innovantes. Concernant les projets de développement, leur retard ou annulation prive les pays de financements essentiels.

Face à ces défis colossaux, les gouvernements doivent planifier intelligemment pour atténuer l’impact du retrait et tracer une nouvelle voie économique en nouant de nouveaux partenariats stratégiques, notamment avec les BRICS, pour assurer un avenir économique prospère.

Les opportunités économiques post-CEDEAO

Tout d’abord, dans le sillon de leur départ de la CEDEAO, les pays de l’AES se trouvent sur un boulevard d’opportunités économiques sans précédent. L’émancipation de l’institution d’intégration économique régionale ouvre le potentiel de formation de nouveaux partenariats économiques. L’opportunité de rétablir des partenariats bilatéraux est une aubaine pour aligner les économies de ces pays sur les besoins nationaux. Sans les contraintes de la conformité aux standards de la CEDEAO, ces Etats peuvent négocier des accords plus en phase avec les spécificités de leurs intérêts nationaux. Cette nouvelle ère permet également une plus grande autonomie économique et politique afin de renforcer la souveraineté des Etats. Les trois pays ont désormais la possibilité de mener des politiques économiques en phase avec leurs réalités et aspirations uniques, sans s’encombrer des directives économiques régionales.

Ensuite, le retrait de la CEDEAO peut servir de catalyseur à l’exploration de marchés alternatifs et à la diversification économique. La diversification économique est une priorité car elle permet d’avoir une économie dynamique et intégrée à l’économie mondiale. Traditionnellement dépendants de quelques secteurs clés, les pays de l’AES peuvent désormais explorer de nouveaux secteurs économiques pour l’exportation et investir dans la valorisation de leurs ressources en créant des nouvelles industries.

Enfin, en s’engageant dans cette nouvelle ère géopolitique, le Mali, le Burkina Faso et le Niger pourraient également exploiter leur position stratégique en Afrique de l’Ouest pour devenir des centres de commerce et de transit entre les différentes régions du continent. Par exemple, la position géographique des pays de l’AES offre des opportunités uniques pour le commerce et le transit entre l’Afrique du Nord et les pays du golfe de Guinée. La capacité de s’adapter et de réagir rapidement aux dynamiques économiques mondiales pourrait transformer les défis actuels en tremplin pour une croissance à long terme et un développement socio-économique durable.

Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense Globale du Sahel (IDGS)


[1] SISSOKO, E. F., GUINDO, L. A., & TRAORE, A. L. (2024). L’économie post-CEDEAO : Défis et opportunités pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger. International Journal of Accounting, Finance, Auditing, Management and Economics, 5(1), 289-307. https://doi.org/10.5281/zenodo.10608041

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