Alliance des Etats du Sahel (AES) : Pour une politique scientifique et technologique ambitieuse afin de gagner la guerre économique !

Selon Ali Laïdi, docteur en science politique et chercheur à l’Ecole de pensée sur la guerre économique (EPGE), « la guerre économique est l’utilisation de violences, de contraintes et de moyens déloyaux, ou illégaux, pour protéger ou conquérir un marché, gagner ou préserver une position dominante qui permet de contrôler abusivement un marché. La guerre économique s’exerce en temps de guerre comme en temps de paix. Elle est pratiquée par les Etats, les entreprises, les associations et même les individus. Sachant que rien n’échappe à la marchandisation dans un monde libéral, la guerre économique s’applique aussi bien à tous les produits et services qu’à tous les biens immatériels, comme la pensée (guerre des idées) ou les croyances (guerre des Eglises). »

Depuis plus de 500 ans, l’Europe mène une guerre économique implacable contre l’Afrique. Tout a commencé en 1444 quand les Portugais ont commencé à mener des razzias sur les côtes de l’Afrique de l’ouest. C’est ainsi que pendant plus de 400 ans, les Portugais, les Britanniques, les Français, les Espagnols, les Hollandais… vont dépouiller l’Afrique de sa jeunesse afin de coloniser les Amériques, un continent de 40 millions de km² presque vidé de sa population autochtone.

Après cette première phase de la guerre économique féroce des européens contre l’Afrique qui va donner les bases de l’industrialisation de l’Europe, il y a eu une deuxième phase appelée la colonisation de l’Afrique qui va débuter au 19e siècle. A partir des côtes africaines, les européens vont progresser à l’intérieur du continent. La colonisation avait deux objectifs : trouver des ressources naturelles (bois, caoutchouc…) et des ressources minières (or, uranium, fer, pétrole, gaz…) pour faire tourner les usines, et des débouchés commerciaux pour leurs marchandises.

A partir des années 60 et la vague des indépendances qui vont secouer les empires coloniaux, l’Afrique va rentrer dans la troisième phase de la guerre économique impitoyable que l’Europe lui a imposée avec la participation active des Etats-Unis. C’est la phase du néocolonialisme qui va déboucher en Afrique dite francophone sur l’affreuse françafrique. Parmi les stratégies de camouflage de la guerre économique féroce des européens, il y a l’évangélisation des peuples sauvages, la mission civilisatrice des races supérieures, la démocratie, les droits de l’homme, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les « méchants » chinois et russes…

Il est temps pour l’Afrique de vaincre les européens et les américains, à l’image de l’Asie, sur le terrain de la guerre économique :

  • En opérant une rupture épistémologique (penser et agir en fonction des paradigmes africains, et de nos intérêts) ;
  • En ayant des armées professionnelles rompues à l’art de la guerre militaire afin de nous défendre contre l’anéantissement ;
  • En renforçant les partenariats stratégiques avec l’Asie, la Russie, le Moyen-Orient, l’Amérique latine, les Caraïbes et l’Océanie tout en se battant pour l’avènement d’un monde multipolaire basé sur le droit international afin de réaliser tout son potentiel politique, diplomatique et économique ;
  • En formant des guerriers économiques capables de prendre le contrôle de tous les secteurs de nos économies.

Pour réussir cette compétition mondiale féroce, qui fait particulièrement rage en Afrique depuis environ 500 ans, nos Etats et nos entreprises doivent miser sur les sciences, la technologie et l’innovation. C’est ainsi que l’étude des facteurs à l’origine des économies les plus innovantes et compétitives au monde permet de dégager cinq points communs :

1. Un Etat souverain et stratège qui soutient et investit massivement dans la recherche scientifique théorique pour créer de nouvelles connaissances indispensables à l’économie et à la société.

2. Un environnement stable (stable et consensuel), économique, fiscal et social très favorable. L’économie basée sur la connaissance est devenue la force motrice de ces nations.

3. Un système éducatif performant avec des universités et des grandes écoles d’excellence afin de disposer de ressources humaines de très bonne qualité. Ces pays ont compris que la connaissance et les compétences sont les premières ressources d’une nation.

4. Des entreprises privées qui investissent massivement dans la recherche et le développement pour continuer d’innover et de croitre.

5. Un transfert de technologies des centres de recherche vers les entreprises pour booster l’innovation et créer de la richesse. Il y’a une vraie stratégie nationale de vulgarisation de la connaissance dans tous ces pays afin de créer une vraie culture scientifique qui aidera à mieux comprendre un monde de plus en plus complexe. Ce transfert de connaissances scientifiques et de technologies se fait par l’intermédiaire des « technology managers » comme aux Etats-Unis par exemple, les thèses de doctorat, les articles et ouvrages scientifiques, les colloques et séminaires scientifiques, les conférences/débats, les émissions télé et radio, les réseaux sociaux à travers des influenceurs entre autres…

A la lumière de ces faits, la puissance de l’Alliance des Etats du Sahel et de l’Afrique se fera sur la base de ces fondamentaux – la recherche scientifique, la recherche et développement, l’innovation, la vulgarisation des connaissances, la culture scientifique… – ou ne se fera pas !

Il ne s’agit surtout pas de faire bêtement du copier-coller, qui a rarement fonctionner d’ailleurs, mais de comprendre comment font les autres afin d’adapter leurs modèles à nos réalités. Pour y arriver l’Afrique doit prendre le temps d’opérer une rupture épistémologique afin d’élaborer sa propre théorie des connaissances inspirée de son histoire et de sa culture et qui reflète fidèlement sa vision du monde. Il ne faut jamais oublier que la science est élaborée par des hommes et des femmes vivant dans un contexte temporel, géographique et sociétal donné. Lorsque le cadre épistémologique de la pratique scientifique est biaisé, tout ce qui viendra après sera aussi faussé.

Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense Globale du Sahel (IDGS)

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