CEDEAO/AES : Pourquoi la Zlecaf rend superflue toute organisation d’intégration régionale ?

Le mercredi 31 janvier 2024, l’Afrique du Sud a réalisé ses premières exportations dans le cadre de la zone de libre-échange continentale, la Zlecaf. En effet, depuis le port de Durban le président Cyril Ramaphosa a inauguré le premier envoie de produits sud-africains vers le Ghana dans le cadre de la Zlecaf. Quant au Kenya, il enverra bientôt du thé et du café au pays de Nelson Mandela. Ainsi, l’Afrique du Sud montre la voie et rejoint les 12 pays africains qui s’échangent déjà des produits dans le cadre de la zone de libre-échange comme la Tunisie, le Cameroun ou l’Egypte. L’Eswatini a promis à son tour d’exporter son sucre vers d’autres pays africains dans les semaines à venir.

Cette nouvelle donne continentale est une opportunité pour les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui peuvent continuer à faire du commerce avec les pays membres de la CEDEAO qui font parties des 47 états qui ont ratifié l’accord de libre-échange. La Zlecaf a rendu superflu des organisations d’intégrations régionales comme la CEDEAO car les pays signataires peuvent faire du commerce à des tarifs préférentiels comme l’Afrique du Sud et le Ghana par exemple. Ainsi, le Niger, le Mali et le Burkina Faso peuvent continuer normalement à échanger avec leurs voisins de l’Afrique de l’Ouest (ainsi que le reste du continent) dans le cadre de la Zlecaf, devenue une organisation suprarégionale qui coordonne désormais le commerce continental.

Rappelons-nous que la décision de lancer le projet de zone de libre-échange continentale a été prise en janvier 2012, lors de la 18ème session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine. La Zlecaf regroupe le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union du Maghreb arabe et la Communauté des États sahélo-sahariens. L’objectif du projet est d’intégrer à terme l’ensemble des 55 États de l’Union africaine au sein de la zone de libre-échange.

La zone de libre-échange continentale africaine est entrée officiellement en vigueur le 1er janvier 2021. A ce jour elle est ratifiée par 47 pays membres. Selon la Banque Mondiale, la Zlecaf pourrait permettre aux pays africains de faire sortir de l’extrême pauvreté 30 millions d’habitants et d’accroître le revenu de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour. Sur les 450 milliards de dollars de gains potentiels, environ 300 milliards proviendraient des mesures de facilitation du commerce visant à lever les freins bureaucratiques et à simplifier les procédures douanières. La mise en œuvre de la Zlecaf permettrait de mener à bien les réformes de fond nécessaires pour stimuler la croissance à long terme dans les pays africains.

Cependant, le commerce intra-africain ne représente actuellement que 15 % du commerce total du continent, contre 58 % en Asie et 67 % en Europe. Selon l’économiste zambienne Dambisa Moyo, la prospérité économique qualitative et durable de l’Afrique est entravée par la conjonction de 6 facteurs :

1. LE FACTEUR GÉOGRAPHIQUE : La majorité des populations africaines vivent à l’intérieur des terres (le nord du Nigéria, la RDC, l’Ethiopie, le Niger…). Par exemple l’enclavement du Niger lui coûte 2400 milliards FCFA soit plus de 5% de son produit intérieur brut. D’où la nécessité d’avoir des grands projets d’infrastructures continentales pour réduire les distances et fluidifier les échanges.

C’est ainsi que 10 AXES ROUTIERS ont été identifiés par l’Union Africaine pour le réseau routier transafricain (Autoroutes Trans-Africaines ou ATA). Les numéros sont précédés du sigle ATA signifiant « Autoroutes Trans-Africaines ». Ce sigle est suivi d’un numéro allant de 1 à 10.

  • ATA1 : Le Caire – Dakar soit environ 8 636 km ;
  • ATA2 : Alger – Lagos soit environ 4 630 km ;
  • ATA3 : Tripoli – Windhoek – Le Cap soit 9 610 km ;
  • ATA4 : Le Caire – Gaborone – Le Cap soit 8 860 km ;
  • ATA5 : Dakar – N’Djamena soit 4 500 km ;
  • ATA6 : N’Djamena – Djibouti soit 4 220 km ;
  • ATA7 : Dakar – Lagos soit 4 010 km ;
  • ATA8 : Lagos – Mombasa soit 6 260 km ;
  • ATA9 : Beira – Lobito soit 3 520 km ;
  • ATA10 : Djibouti – Libreville – Bata soit 7 600 km.

Dans ce volet infrastructures, il ne faut pas oublier les interconnexions aériennes afin de pouvoir se rendre facilement et très rapidement dans n’importe quelle ville en développant entre autres des compagnies aériennes locales low-cost. Les autoroutes doivent aussi être couplées avec un excellent réseau ferroviaire pour le transport des passagers mais aussi et surtout des marchandises. Il ne faut surtout pas oublier les lignes directes de fret par bateaux entre les principaux ports africains pour dynamiser les échanges commerciaux maritimes. Il est temps d’accélérer la mise en place de ces grands projets structurants et industrialisants afin que l’Afrique puisse déployer tout son potentiel.

2. LE FACTEUR HISTORIQUE : La colonisation qui a consacré la balkanisation de l’Afrique, instaura des structures politiques et façonna les bureaucraties incompatibles avec la manière de vivre des populations. Ce qui rend difficile la souveraineté économique et politique.

3. LE FACTEUR CULTUREL : La tendance qui consiste à attendre tout de Dieu ou d’Allah est un obstacle psychologique nuisible. La religion doit être un facteur essentiel de prospérité économique et sociale, et non l’inverse comme c’est actuellement le cas dans certaines parties d’Afrique où elle est manipulée à des fins nuisibles pour les communautés.

4. LE FACTEUR ETHNIQUE : Les rivalités entre les communautés, souvent exacerbées par les luttes de pouvoir, peuvent engendrer des violences et empêcher la coopération économique. Plus les peuples coopèrent mieux ils réussissent. Les micro-tribalismes, les micro-nationalismes et les divisions confessionnelles sont autant de facteurs nuisibles qui minent la prospérité économique et constituent des obstacles à l’édification de nations solides. Il faut absolument faire attention aux identités meurtrières.

5. LE FACTEUR INSTITUTIONNEL : Des institutions fortes et crédibles assurent la sécurité du droit privé, le règlement des conflits, le maintien de la loi et de l’ordre…

6. LE FACTEUR « AIDE » : La dépendance à l’aide internationale est devenue un fléau qui détruit silencieusement la croissance économique. Assisté par l’AIDE, la corruption nourrit la corruption, et les nations s’engagent vite dans un cercle vicieux. L’aide étrangère maintient au pouvoir des gouvernements corrompus en leur fournissant l’argent dont ils peuvent user à leur guise. Ces gouvernements corrompus font obstacle au règne de la loi, à l’établissement d’institutions politiques authentiques et crédibles, à la protection des libertés, et ce comportement décourage les investissements tant domestiques qu’étrangers.

L’opacité accrue et la baisse des investissements affectent la croissance, d’où la réduction du nombre d’emplois offerts et l’extension de la pauvreté. Pour réagir à cette situation les donateurs augmentent l’aide et ainsi se poursuit la descente inexorable vers la pauvreté. Tel est le cercle vicieux de l’aide : il tarit les investissements si nécessaires, crée une culture de la dépendance, et fait le jeu d’une corruption illimitée, systématique – avec des conséquences désastreuses pour la croissance économique. En fait ce cercle perpétue le sous-développement et garantit l’échec économique des pays les plus pauvres dépendants de l’aide. C’est un poison qui détruit silencieusement la prospérité économique qu’elle est sensée créer et entretenir.

Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense Globale du Sahel (IDGS)

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