Les relations internationales illicites continuent de s’épanouir. Au-delà des activités criminelles traditionnelles (drogue, armes, trafic des êtres humains et contrefaçons), les faillites frauduleuses et la corruption politique ou entrepreneuriale démontrent l’extrême difficulté de la lutte contre des activités qui utilisent les mêmes mécanismes que ceux de la mondialisation. L’Afrique et plus particulièrement l’Afrique de l’ouest, devenue un haut lieu stratégique du trafic de drogues vers l’Europe, n’échappe pas à cette réalité.
Les services italiens de lutte contre le trafic de drogues l’ont nommé la route numéro 2, identifiant ainsi trois routes principales pour le transport de Cocaïne vers l’Europe. La première est une voie parfois directe qui part de Amérique du sud pour les ports européen d’Anvers (Belgique), de Rotterdam (Pays-Bas), d’Hambourg (Allemagne) et de Southampton (Royaume-Uni). Depuis le début des années 2000, l’Afrique de l’Ouest est devenue une zone privilégiée pour le transit de la cocaïne en provenance de l’Amérique latine particulièrement du Brésil, de la Colombie et du Pérou à destination de l’Europe, second marché le plus important de consommateurs après celui des Etats-Unis.
Dans la route numéro 2, les marchandises de cocaïne partent des trois pays de l’Amérique latine puis font une escale en Afrique de l’Ouest notamment aux ports de Lagos (Nigeria), Lomé (Togo), Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire), Bissau (Guinée Bissau), Conakry (Guinée Conakry) … où la drogue est en général déchargée puis s’engage le transport par escale d’abord à travers les pays du golfe de Guinée puis du Sahel où les transporteurs sont escortés par les terroristes, qui pullulent au Sahel, jusqu’en Libye. A partir de la Libye, la drogue est chargée sur de grands cargos qui traverse la méditerranée pour les ports de Gioia Tauro (Italie), Salerne (Italie), Naples (Italie), Messine (Italie), Brindisi (Italie), Bari (Italie), Bastia (France), Athènes (Grèce), etc.
Enfin, la route numéro 3 est une filière qui part du Maroc vers Valence (Espagne), Barcelone (Espagne), Algésiras (Espagne), Marseille (France), Toulon (France) et Nice (France).
Dans le texte j’utilise le mot « terrorisme » comme un mode d’actions violentes afin d’atteindre des objectifs politiques ou économiques. Ce n’est pas une idéologie politique. Les groupes armés terroristes qui endeuillent le Sahel central appartiennent au crime organisé mondialisé.
Il existe un lien qui unit les narcoterroristes du Sahel et la mafia italienne notamment. Un aspect peut être négligé mais pourtant fondamental pour comprendre un réseau qui s’étend progressivement. Les routes des narcoterroristes sont les routes criminelles : des routes qui célèbrent un mariage d’intérêt entre mafia italienne et groupes armés terroristes sahéliens !
Le premier business que partagent les narcoterroristes et les mafias est la contrebande de cigarettes, le trafic d’armes et trafic de stupéfiants. En échange, les terroristes ne frappent pas l’Italie. C’est aussi une des raisons parmi d’autres qui font que l’Italie n’a jamais été victime d’attentats terroristes sur son sol. La Camorra (Italie) fait du commerce de drogue, expédiée en Italie depuis le port libyen de Syrte contrôlé par les terroristes de l’Etat islamique. Toute la route de la drogue nord-africaine est aux mains des terroristes de l’Etat islamique.
La ‘Ndrangheta (Italie) a établi ses bases logistiques au Togo en 2004, lorsque des preuves ont été trouvées de la présence des clans Pesce et Mancuso impliqués dans le trafic de cocaïne. La présence opérationnelle de la ‘Ndrangheta a été confirmée en 2007, lorsque la Guardia di Finanza (police douanière et financière italienne) a saisie à Milan (Italie) 250 kilos de cocaïne appartenant au clan Morabito et en provenance d’Afrique.
En juin 2015, une équipe de journalistes et d’avocats indépendants publie le résultat de ses recherches sur la présence de la mafia dans 13 pays d’Afrique. Une première qui prouve l’enracinement progressif et durable des activités des plus importantes organisations criminelles italiennes – la Camorra napolitaine, la Cosa Nostra sicilienne et la ’Ndrangheta de Calabre –, mais aussi de clans familiaux, comme les D’Agosta de Sicile, sur le continent, depuis le trafic de drogues et de médicaments jusqu’aux intérêts dans le secteur minier.
En Afrique de l’Ouest et dans l’espace sahélo-saharien, il existe une porosité entre les cartels latino-américains et européens, les groupes armés terroristes et les groupes rebelles du Mali et du Niger. Les cartels d’Amérique latine, la Camorra napolitaine, la Cosa Nostra sicilienne, la ’Ndrangheta de Calabre, les différentes factions d’Al Qaïda et de l’Etat islamique, le mouvement national pour la libération de l’Azawad, le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), le Front de libération de l’Aïr et de l’Azaouak (FLAA), le Front de libération du Tamoust (FLT) et Boko Haram au Nigéria sont les principaux acteurs du crime organisé mondialisé en Afrique de l’Ouest et du Nord sur fond de faillite des Etats. Cette tragédie pour les peuples africains se finance grâce au trafic de drogue, de cigarettes, d’armes, d’or et d’autres minerais comme le diamant, d’êtres humains (business des otages, migrants), etc.
Selon Ghada Waly, la Directrice exécutive de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la menace que représentent les attaques armées et le crime organisé s’installe durablement en Afrique. L’organisation a dénombré 3 500 victimes d’actes de terreur l’année dernière sur le continent africain. L’Afrique de l’Ouest, notamment le Sahel subit les assauts de groupes armés parmi les plus actifs et les plus meurtriers au monde.
Dans ce tableau sombre du crime organisé mondialisé et du terrorisme international issus de la mondialisation économique, on trouve des acteurs financés par des puissances régionales et étrangères qui ont des intérêts géostratégiques en Afrique. C’est pour dire que ce chaos apparent obéit à une logique économique et géopolitique indispensable au maintien de l’ordre mondial actuel.
Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Fondateur et Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense et de Sécurité Globales du Sahel