La conversion de la France à la « guerre contre le terrorisme » en Afrique1 fait suite à la création, en janvier 2007 au nord du Mali, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), mouvement issu de l’implantation du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien. L’action française reste d’abord secrète : renforcement de la présence des services de renseignement extérieur et mission du Commandement des opérations spéciales (COS), dans le cadre d’un « plan Sahel » élaboré à cette période. Des éliminations ciblées de djihadistes sont menées et des Groupes spéciaux d’intervention (GSI) africains sont formés à la lutte contre le terrorisme en Mauritanie, au Mali et au Niger. Le 22 juillet 2010, la presse espagnole révèle la participation des forces spéciales du COS à une opération officiellement mauritanienne menée en territoire malien, pour tenter de délivrer l’otage français Michel Germaneau. Après l’échec de cette opération, le Premier ministre François Fillon déclare à la radio : « Nous sommes en guerre contre Al-Qaïda. » En septembre 2010, plusieurs salariés d’Areva (aujourd’hui Orano) au Niger sont à leur tour enlevés. La France augmente alors la présence de ses forces spéciales pour traquer les ravisseurs et protéger les mines d’uranium de l’entreprise française. Le mois suivant, une base permanente du COS est installée à Ouagadougou, au Burkina Faso. Mais jusqu’à la fin 2012, alors même qu’est révélé dans la presse le nom de l’opération des forces spéciales (« Sabre »), le ministre des Affaires
étrangères, Laurent Fabius continue de nier la présence de ces dernières au Sahel.
Le discours change à partir du déclenchement de l’opération Serval. Le 11 janvier 2013, alors qu’il avait à plusieurs reprises exclu catégoriquement une intervention au Mali – la France appuyant officiellement la mise en place d’une force internationale sous commandement africain -, le président François Hollande annonce répondre à une demande d’aide du président malien. L’Elysée aurait alors décidé d’intervenir
dans l’urgence pour protéger Bamako d’un raid des mouvements djihadistes (Aqmi, Ansar Dine, Mujao) qui contrôlaient le nord du pays. La version selon laquelle la France aurait empêché le Mali de devenir un Etat terroriste à même de déstabiliser toute la région est aujourd’hui devenue l’histoire officielle. La capacité de ces groupes à prendre le contrôle de la capitale malienne suscite pourtant le doute chez
les journalistes spécialisés défense et un certain nombre de chercheurs, tels que Roland Marchal ou Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Même Jean-Christophe Notin, très proche des mieux militaires, souligne qu’aucun élément matériel (témoignages, écoutes téléphoniques, déclarations, textes retrouvés sur le terrain…) ne vient étayer la thèse selon laquelle il s’agissait de la stratégie des mouvements djihadistes. Celle-ci consistait plus vraisemblablement à s’emparer de l’aéroport de Sévaré et de la ville voisine de Mopti, à 600 kilomètres au nord de Bamako. Selon le journaliste défense du journal L’Opinion Jean-Dominique Merchet, « le storytelling est né dans l’entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian… Il est validé par le président François Hollande ».
En réalité, loin d’avoir été organisées dans la précipitation, les modalités de l’intervention française avaient été arrêtées de longue date et les indices de sa planification relevés par les observateurs attentifs : présence des forces spéciales, augmentation des moyens aériens dans les pays voisins, voyage de Hollande en Algérie pour obtenir un droit de passage dans l’espace aérien, etc. Selon une enquête des journalistes du Figaro Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, un plan d’intervention est même élaboré dès 2009 (soit quatre ans avant l’intervention au Mali et deux ans avant la destruction de la Lybie) : il est refusé par Nicolas Sarkozy mais est validé dès son élection par François Hollande. Ne reste plus qu’à trouver le moment opportun.
Les motivations réelles de cette intervention suscitent encore aujourd’hui beaucoup de spéculations. Quelques jours le déclenchement de l’opération Serval, le président Hollande assure que la France « ne défend aucun calcul économique ou politique », étant « au service, simplement, de la paix » et entendant ainsi « payer sa dette » aux peuples africains. Une version mise à mal par le général Vincent Desportes : lors des Rencontres de Pétrarque de juillet 2013, diffusés sur France Culture, l’ancien directeur de l’école de guerre évoque la nécessaire protection des expatriés français et de l’exploitation « des ressources tout à fait importantes en uranium » au Niger. Par ailleurs, l’obsession largement partagée de voir la France « maintenir son rang » et conserver son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU,
implique que l’armée française continue d’assurer le maintien de l’ordre dans le pré carré africain.
Parmi les stratégies de camouflage de la guerre économique féroce que la France mène contre l’Afrique depuis environ 500 ans, il y a l’évangélisation des peuples sauvages, la mission civilisatrice des races supérieures, la démocratie, les droits de l’homme et maintenant la lutte contre le terrorisme. Les Africains doivent en être conscients et se donner les moyens pour contrer les stratégies de prédation économique.
Adamou BOUBACAR
Professeur de Biotechnologie – Santé – Environnement
Directeur de Sahel Agropole
Président de l’Institut de Défense Globale du Sahel (IDGS)
1 Borrel, T (ouvrage collectif), L’empire qui ne veut pas mourir : Une histoire de la françafrique, Edition
le Seuil, 1008 pages, 2021, p. 839-840.